Les maires peuvent-ils sauver la France?
Entretien avec Brice Soccol, politologue, essayiste.
Dans l’Écharpe et les tempêtes vous montrez que le maire résiste encore à la crise de défiance. Pensez-vous qu’il peut être l’acteur de la réconciliation des français avec la politique ?
Comme nous le soulignons dans l’ouvrage, depuis 2017 et plus particulièrement depuis la dissolution manquée de 2024, jamais la dichotomie entre la défiance à l’encontre du national et la confiance à l’égard du local a été aussi importante. Face à une classe politique nationale encalminée, qui vit dans « un monde parallèle de promesses non tenues », les maires incarnent à eux seul la politique de transformation du quotidien.
Le maire est devenu cette « autorité de confiance » que le pouvoir central n’incarne plus. Parce qu’il agit au quotidien, dans la proximité, il connaît les réalités de terrain et incarne une forme de neutralité pragmatique ; il apparaît comme un contrepoids démocratique à la verticalité du pouvoir national, comme le dernier rempart face aux multiples vulnérabilités des Français. Il représente ainsi la figure d’une réconciliation entre les français et la politique. Pas n’importe qu’elle politique, la politique au service du bien commun.
Le maire cristallise aujourd’hui toutes les exigences des citoyens. « L’homme à tout faire » est-il aussi selon vous l’homme de la situation ?
C’est vrai, cette confiance se double d’une exigence et d’une attente forte de nos concitoyens. Le maire est devenu l’homme-orchestre, le « Rémy-Bricka » contemporain, pris en étau entre les défaillances de l’État central et les nouvelles exigences de nos concitoyens. De nouvelles exigences qui se traduisent par une impatience grandissante, un besoin d’attention particulier, une pression constante à produire des résultats visibles.
Cela se traduit par une forme de décentralisation émotionnelle de la politique.
Une situation parfois inextricable pour les maires qui n’ont « plus la capacité de tout faire et en auront encore mois avec le budget de rigueur annoncé ... On vit une « fragilité républicaine ». Oui le maire peut être l’homme de la situation mais il faudra repolitiser la fonction de maire et le sortir de son rôle purement gestionnaire et technique ; Il faudra réhabiliter le temps long et rappeler que les vraies transformations (urbanisme, école, transition écologique…) demandent du temps !
Vous alertez néanmoins sur l’effet domino entre le contexte national et local. Pensez-vous que les maires sont frappés du contexte du sauveur ?
En effet, les thèmes nationaux se localisent et seront déterminant pour les prochaines élections municipales. La santé, les services publics, la sécurité mais aussi les impôts et la dette, c’est à dire essentiellement des compétences nationales qui reviennent prioritairement à l’État mais deviennent des enjeux locaux. L’État ne peut se contenter de transférer des compétences ; il doit donc transférer également une partie sa capacité d’agir. Tant que les collectivités resteront dépendantes du bon vouloir budgétaire de Bercy, leur autonomie demeurera fictive.
Il ne peut y avoir de décentralisation sans autonomie financière réelle.
Transférer des compétences sans transférer les moyens, c’est entretenir une illusion qui peut être préjudiciable aux maires ! La posture qui est de dire « ce n’est pas moi, c’est la métropole, c’est l’État… » ne peut fonctionner ; elle se heurte à l’imaginaire de la transformation dévolue aux maires.
Notre vie politique est abîmée au niveau national par l’instabilité chronique et le sentiment d’impuissance. A l’inverse, le maire apparaît comme un refuge. Pensez-vous que les maires peuvent sauver la France de la crise politique qu’elle traverse ?
La crise politique française ne se résume plus à une alternance de majorités fragiles ou à des institutions contestées. Elle est devenue une crise de confiance, une crise du lien. Abstention massive, défiance envers les élites, sentiment d’abandon dans de nombreux territoires : la République semble parfois ne plus parler à ceux qu’elle prétend représenter.
Dans ce contexte, une figure résiste pourtant à la tempête : celle du maire.
Le maire connaît les habitants par leur nom, il gère les conflits concrets, accompagne les détresses sociales, répond aux urgences locales.
Mais croire que le maire pourrait, à lui seul, « sauver » la France serait une illusion dangereuse. Pour autant, leur rôle est décisif. Non pas comme solution miracle, mais comme point d’appui. Le maire peut restaurer la confiance démocratique, maintenir la cohésion sociale et rappeler que la politique n’est pas seulement une lutte de pouvoir, mais un service rendu.
Il est celui qui empêche la colère de se transformer en rupture définitive avec les institutions.
La France ne sera pas sauvée par un homme providentiel ni par un sursaut autoritaire venu d’en haut. Elle ne pourra se reconstruire qu’en réconciliant l’écharpe et la tempête : en redonnant aux communes, et à ceux qui les font vivre, les moyens et la considération nécessaires. C’est peut-être là, dans cette politique du quotidien, humble et incarnée, que commence le véritable renouveau démocratique.
Vous êtes président d’un cabinet de conseil dédié aux collectivités locales, pourriez-vous décrire en trois mots ce qu’est un maire pour vous ?
Pour moi, et en trois mots, le maire c’est : proximité-écoute-engagement. En un mot : Confiance.
L'écharpe et les Tempêtes, Brice Soccol, Frédéric Dabi, Editions de l'Aube
À trois mois des élections municipales, « L’écharpe et les tempêtes » éclaire un climat politique en pleine mutation. Dans cet essai coécrit par Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, et le politologue Brice Soccol, les auteurs interrogent une certitude longtemps ancrée dans la vie politique française : la solidité du lien de confiance entre les citoyens et leurs maires.
Traditionnellement perçus comme les élus les plus proches et les plus appréciés, les maires font aujourd’hui face à des vents contraires. Crises internationales, inflation, tensions sociales, défiance généralisée envers les institutions : autant de « tempêtes » qui rejaillissent désormais sur l’échelon local. À partir d’enquêtes d’opinion inédites et de nombreux témoignages d’élus de terrain, les auteurs montrent que le local n’est plus totalement protégé des colères nationales.
Le livre met en lumière un paradoxe central : alors que les attentes envers les maires n’ont jamais été aussi fortes — sécurité, pouvoir d’achat, transition écologique, qualité de vie — leurs marges de manœuvre réelles sont de plus en plus contraintes. Les maires sont ainsi pris en étau entre un État qui se désengage et des citoyens de plus en plus exigeants. Cette tension nourrit frustrations, incompréhensions et parfois une défiance silencieuse, susceptible de s’exprimer dans les urnes par l’abstention, le vote sanction ou l’émergence de listes alternatives.
À l’approche du scrutin municipal, « L’écharpe et les tempêtes » offre ainsi une clé de lecture précieuse des enjeux électoraux à venir. Plus qu’un simple diagnostic, l’ouvrage interroge l’avenir du mandat municipal : comment continuer à incarner la proximité démocratique dans une société traversée par la défiance ? Une question centrale, alors que se joue, au niveau local, une part décisive de la vitalité démocratique française.